Au tournant du 21ème siècle, la psychologue sociale et activiste américaine Melanie Joy constate qu’il manque à notre vocabulaire un terme pour désigner le fait de considérer que consommer de la viande, et plus largement des produits d’origine animale, est un fait normal et indispensable. Elle utilise un quasi-néologisme, le « carnisme » (en fait le terme désignait dans certaines langues et à certaines époques la consommation de viande, souvent sa consommation excessive*) pour désigner le fait de considérer comme normal de consommer de la viande (et autres produits animaux) sans s’interroger sur la nécessité, notamment physiologique, de le faire.
Le terme a donc aujourd’hui une définition précise : il s’agit d’une idéologie, d’un système de croyance. Est carniste la personne qui considère, sans examen, sans en douter, que consommer de la viande et des produits animaux est bon, nécessaire. Il ne désigne plus une pratique.
Ainsi, une personne qui serait allergique aux produits animaux, et n’en consommerait donc pas, mais qui en serait désolée et craindrait que cette impossibilité d’en consommer finisse par détruire sa santé sans jamais y avoir réfléchi au-delà de certitudes culturelles, serait carniste au sens de Melanie Joy. Végétalienne mais carniste.
A l’inverse, une personne qui continuerait à consommer des produits animaux tout en s’interrogeant sur le bien-fondé de cette pratique, ou bien en culpabilisant de ne pas pouvoir se passer de ce vice, ou une personne qui aurait été végane et serait revenue à la viande après avoir constaté des problèmes (réels ou sincèrement supposés) de santé, voire une personne qui continuerait à en consommer cyniquement en étant persuadé que cela n’a aucun intérêt nutritionnel ni aucune espèce d’évidence, ne serait pas carniste. Omnivore, égoïste dans le dernier cas, mais pas carniste.
Les termes carnisme et carniste ont donc une véritable utilité, permettant de désigner un objet précis. Carniste est cependant régulièrement utilisé dans les controverses sur le véganisme pour désigner indifféremment toute personne défendant la consommation de viande et de produits animaux, et plus largement toute personne consommant de la viande. Il est souvent perçu (et probablement souvent utilisé) comme un terme péjoratif.
On peut suggérer qu’éviter une telle utilisation serait susceptible d’apaiser quelques débats.
*En Français, le terme carniste semble avoir été employé jusque vers la fin de la seconde guerre mondiale, exceptionnellement après cette date, et est aujourd’hui totalement tombé en désuétude sous l’acception de consommation (excessive) de viande. Je n’ai pas l’impression que carnism ait été utilisé en anglais avant que Melanie Joy s’en empare (si un spécialiste de la langue anglaise peut confirmer).