Remonter à la source (2) : du sexe et des performances physiques

Il y a quelques mois ont été publiés, dans American Anthropologist, deux articles scientifiques sur la question de la chasse féminine (encore, me direz-vous), accompagnés de deux articles de vulgarisation écrits par les autrices, l’un dans la revue Scientific American, l’autre en ligne sur le site The Conversation. Les deux autrices, Sarah Lacy et Cara Ocobock, y étudient dans l’une des publications les données archéologiques, et dans l’autre les données biologiques. Elles parviennent à la conclusion que les femmes possèdent des qualités physiques leur permettant de chasser aussi efficacement que les hommes, ce qui, additionné aux indices archéologiques, laisse penser que la chasse devait être pratiquée abondamment par les femmes au paléolithique.

Je n’ai pas l’intention ici de trancher la question épineuse de la chasse féminine chez les chasseurs-cueilleurs, simplement, quelques points me semblent problématiques dans les deux articles d’origine, notamment celui concernant la biologie, intitulé Woman the hunter: The physiological evidence (Ocobock & Lacy, 2023). L’article arrive à la conclusion que les femmes possèdent un certain nombre d’atouts physiologiques leur permettant d’être particulièrement performantes dans les épreuves d’endurance extrêmes. Il y a plusieurs éléments qui semblent pertinents à l’appui de cette affirmation. Cependant, il me semble que l’article comporte aussi quelques affirmations questionnables, et de potentiels problèmes de citations. Je me suis donc un peu penché dessus. Continuer à lire … « Remonter à la source (2) : du sexe et des performances physiques »

Un problème de taille

Dans l’article d’Anderson et al. publié dans PlosOne sur les femmes chasseuses il y a quelques temps déjà, dont Christophe Darmangeat parlait ici, les autrices classaient les animaux chassés en petit, moyen et grand gibier. Cette classification semble assez banale, et il semble aller de soi que tous les chercheurs s’entendent sur ce qu’est du petit ou du grand gibier. En réalité, il n’en est rien. Je dirais même que le terme scientifique le plus adéquat pour qualifier la situation est « putain de bordel ». On trouve en effet plusieurs types de classification, selon les disciplines considérées, et même parfois au sein même de ces disciplines, plaçant les limites des tailles d’animaux à des niveaux parfois considérablement différents.

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Remonter à la source

J’ai dû être saumon dans une autre vie, mais il y a un truc que j’adore faire : prendre une affirmation dans une publication, que ce soit un article dans une revue à comité de lecture ou un article de vulgarisation, et remonter jusqu’à la source ultime de cette affirmation. Petit exemple avec un texte de l’archéologue Jean-Paul Demoule paru dans la revue Documentation photographique de mai-juin 2017. Continuer à lire … « Remonter à la source »

Du cerveau et de ses besoins

Je vais essayer d’aborder un problème important, qui est présent un peu partout en anthropologie. Ca peut se résumer ainsi : quand on parle du fonctionnement d’un organe (souvent, en paléoanthropologie, le cerveau humain), et de ses besoins nutritionnels, on trouve couramment trois types d’erreurs :

1) On considère seulement deux fonctions biochimiques sur les trois principales nécessaires au bon fonctionnement d’un organe.
2) Les auteurs ne sont pas toujours très au fait du type de molécules dont les organes ont besoin pour assurer ces fonctions.
3) Les auteurs ne sont pas toujours très au fait de la manière dont un organisme peut fournir à ses organes les molécules en question. Continuer à lire … « Du cerveau et de ses besoins »

2 vidéos sur la chasse, la cueillette et les femmes

Je continue dans le format court (ma mère aime bien) pour vous parler de deux vidéos concernant la chasse, la cueillette et les femmes. On m’a déjà fait remarquer sur Twitter que je m’attardais trop sur la question des femmes et de la division des tâches, mais ce n’est pas vraiment ma faute : c’est une question incontournable dans les débats sur l’évolution humaine et donc dans mon travail de recherche. De plus, elle est particulièrement présente médiatiquement ces dernières années, et c’est un formidable exercice d’esprit critique sur une question très politique. Et, pour finir, la chaine Youtube d’histoire Nota Bene m’a sollicité pour intervenir à ce sujet. Plus précisément à propos d’une publication scientifique du mois de juin dernier, au sujet des femmes chasseuses recensées par l’ethnologie, dont vous trouverez une critique sur le blog La Hutte des classes de Christophe Darmangeat [ici]. Continuer à lire … « 2 vidéos sur la chasse, la cueillette et les femmes »

Omnivore, mais encore ?

Je relance un peu le blog avec un format court visant à exposer rapidement quelques problèmes que l’on rencontre quand on essaie de parler correctement d’évolution humaine en général, et d’évolution de l’alimentation humaine en particulier. Il y aura moins de références que d’ordinaire, mais vous pouvez demander des précisions en commentaires, et je commence avec la question de l’omnivorie.

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Dimorphisme sexuel au paléolithique

La question de l’évolution du dimorphisme sexuel humain est souvent (mal)traitée dans le débat public, et je vais essayer d’apporter ici un peu de précisions en répondant simplement à cette question : Est-il vrai que le dimorphisme sexuel n’existait pas « à la préhistoire » ?

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Solveig Halloin cite-t-elle correctement Florence Burgat ?

C’est une histoire qui date un peu, mais comme un prof d’histoire-géo a fait récemment travailler ses élèves sur le débunking de la séquence (plus précisément le débunking d’un montage vidéo de la séquence en question, additionné d’un mème ridiculisant Solveig Halloin), et comme ça parle de préhistoire de l’alimentation, il me semble intéressant de revenir dessus.
(je mets les sources des vidéos à la fin, pour pas vous déconcentrer)

Rappelez-vous, vous avez probablement vu ce passage : invitée par le média « Le Crayon« , Solveig Halloin répondait violemment à une affirmation de son intervieweuse, Sixtine Moullé-Berteaux. Ca donnait ça :

  • Sixtine Moullé-Berteaux : « A la préhistoire, les hommes se nourrissaient principalement de viande, et de viande crue, à l’époque. »
  • Solveig Halloin : « Euh, vous délirez complètement, c’est complètement faux. L’essentiel de l’alimentation, c’était la cueillette. Enfin, instruisez-vous, je veux dire, avant de dire de telles inepties. Enfin, là, c’est du révisionnisme historique, en plus. […] Je vous laisse lire Florence Burgat qui a écrit L’Humanité carnivore et qui démontre que tout ça est totalement faux. »

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Quelques erreurs communes à propos de Man the Hunter

A mesure que je travaille sur Man the Hunter et sur ses critiques, je m’aperçois de plus en plus que la plupart des auteurs qui le citent l’ont très mal lu (voire, pour nombre d’entre eux, j’en mettrais ma main à couper, ne l’ont pas lu du tout et se contentent de le citer de réputation). L’hypothèse de l’hominisation par la chasse qui y est présentée est très mal comprise, et, je pense, à moins que certains auteurs soient prodigieusement bêtes, souvent présentée de manière volontairement biaisée.

Voici donc quelques points qu’il faut comprendre à propos de l’hypothèse de l’hominisation par la chasse, telle que présentée dans Man the Hunter (oui, parce qu’il y a d’autres versions, moins équilibrées et moins étayées). Continuer à lire … « Quelques erreurs communes à propos de Man the Hunter »

Ethique animale (1) : sur un argument de Peter Singer

 

J’ai dit récemment sur Twitter que ce mois de janvier serait une bonne occasion d’expliquer pourquoi je ne suis pas sûr que les démarches véganes et abolitionnistes soient les meilleures démarches pour réduire la souffrance des animaux. Voici donc un premier article en guise d’introduction sommaire sur la question.

La consommation des animaux, une question morale de taille

Je pars du principe que la consommation d’animaux est bien une question morale fondamentale : l’humanité tue pour sa consommation probablement de l’ordre de 1000 milliards d’animaux chaque année (en comptant les animaux marins). Je considère aussi que la sentience des animaux est digne de considération, et qu’ils ont pour la plupart de ceux que nous consommons la capacité de ressentir douleur et émotions. Continuer à lire … « Ethique animale (1) : sur un argument de Peter Singer »