Solveig Halloin cite-t-elle correctement Florence Burgat ?

C’est une histoire qui date un peu, mais comme un prof d’histoire-géo a fait récemment travailler ses élèves sur le débunking de la séquence (plus précisément le débunking d’un montage vidéo de la séquence en question, additionné d’un mème ridiculisant Solveig Halloin), et comme ça parle de préhistoire de l’alimentation, il me semble intéressant de revenir dessus.
(je mets les sources des vidéos à la fin, pour pas vous déconcentrer)

Rappelez-vous, vous avez probablement vu ce passage : invitée par le média « Le Crayon« , Solveig Halloin répondait violemment à une affirmation de son intervieweuse, Sixtine Moullé-Berteaux. Ca donnait ça :

  • Sixtine Moullé-Berteaux : « A la préhistoire, les hommes se nourrissaient principalement de viande, et de viande crue, à l’époque. »
  • Solveig Halloin : « Euh, vous délirez complètement, c’est complètement faux. L’essentiel de l’alimentation, c’était la cueillette. Enfin, instruisez-vous, je veux dire, avant de dire de telles inepties. Enfin, là, c’est du révisionnisme historique, en plus. […] Je vous laisse lire Florence Burgat qui a écrit L’Humanité carnivore et qui démontre que tout ça est totalement faux. »

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Quelques erreurs communes à propos de Man the Hunter

A mesure que je travaille sur Man the Hunter et sur ses critiques, je m’aperçois de plus en plus que la plupart des auteurs qui le citent l’ont très mal lu (voire, pour nombre d’entre eux, j’en mettrais ma main à couper, ne l’ont pas lu du tout et se contentent de le citer de réputation). L’hypothèse de l’hominisation par la chasse qui y est présentée est très mal comprise, et, je pense, à moins que certains auteurs soient prodigieusement bêtes, souvent présentée de manière volontairement biaisée.

Voici donc quelques points qu’il faut comprendre à propos de l’hypothèse de l’hominisation par la chasse, telle que présentée dans Man the Hunter (oui, parce qu’il y a d’autres versions, moins équilibrées et moins étayées). Continuer à lire … « Quelques erreurs communes à propos de Man the Hunter »

Ethique animale (1) : sur un argument de Peter Singer

 

J’ai dit récemment sur Twitter que ce mois de janvier serait une bonne occasion d’expliquer pourquoi je ne suis pas sûr que les démarches véganes et abolitionnistes soient les meilleures démarches pour réduire la souffrance des animaux. Voici donc un premier article en guise d’introduction sommaire sur la question.

La consommation des animaux, une question morale de taille

Je pars du principe que la consommation d’animaux est bien une question morale fondamentale : l’humanité tue pour sa consommation probablement de l’ordre de 1000 milliards d’animaux chaque année (en comptant les animaux marins). Je considère aussi que la sentience des animaux est digne de considération, et qu’ils ont pour la plupart de ceux que nous consommons la capacité de ressentir douleur et émotions. Continuer à lire … « Ethique animale (1) : sur un argument de Peter Singer »

De la difficulté d’être précis en ethnologie quantitative

Je me suis retrouvé ces derniers temps à tenter de faire une synthèse des travaux en ethnologie des chasseurs-cueilleurs, portant sur les rôles respectifs de la chasse, de la cueillette et de la pèche, sur les consommations respectives de produits animaux et végétaux, et sur l’apport alimentaire respectif des différentes catégories de population (les hommes, les femmes, les enfants, les femmes ménopausées, etc.). C’est une question importante pour mon travail, parce qu’on utilise souvent des chiffres plus ou moins fiables dans divers travaux, dans diverses discussions, ou pour conseiller tel ou tel régime.

Bref, j’étais en train de rassembler toutes les données existantes. Et puis je me suis retrouvé face à un problème… Continuer à lire … « De la difficulté d’être précis en ethnologie quantitative »

La guerre de l’amidon aura-t-elle lieu ?

« Qu’est-ce que tu me chantes, là ? Une guerre de l’amidon, maintenant ? En anthropologie ?

« En paléoanthropologie, s’il te plait. »

« Mais pourquoi l’amidon déclencherait-il une guerre ? On parle bien de la même chose, on est d’accord ? L’amidon ? Cette grosse molécule glucidique servant aux plantes à stocker de l’énergie et aux industriels à stocker de la marge ? La molécule la plus banale qui soit. Le truc qui casse vraiment pas trois pattes à un canard. Canard, d’ailleurs, qui ayant quelques millions d’années d’expérience de migrations intercontinentales à faire valoir à la pomme de terre, a bien compris que pour les longs courriers, c’est sur les lipides qu’il faut baser le carburateur. Et tu me dis que ce truc pourrait déclencher une guerre en paléoanthropologie ? »

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C’est une bonne situation, ça, charognard ?

« Nos ancêtres du paléolithique, de valeureux chasseurs ? Tu parles. Pour l’essentiel de l’histoire de l’humanité, ils ont été surtout des charognards opportunistes qui récupéraient ce qu’ils pouvaient sur des carcasses abandonnées par les vrais carnassiers, et chassaient parfois une petite proie facile. »

Mmmm… Outre que c’est même pas vrai pour la chasse, je vois que tu connais pas bien le charognage, toi…
Allez viens, je t’explique.

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Yuval Noah Harari, Sapiens, lecture critique (3) : le muscle et la cervelle


3ème volet de la lecture critique de Sapiens, si vous n’avez pas lu les premiers, c’est ici :
1er épisode : Une révolution culturelle ?
2ème épisode : Un animal insignifiant ?

Cerveau contre muscles ?

Harari poursuit sa description de l’évolution humaine en se penchant cette fois plus en détails sur les conséquences de posséder un gros cerveau.

Les humains archaïques payèrent leur gros cerveau de deux façons. Premièrement, ils passèrent plus de temps à chercher de quoi se nourrir. Deuxièmement, leurs muscles s’atrophièrent. Comme un gouvernement détourne des fonds de la défense vers l’éducation, les hommes détournèrent de l’énergie des biceps vers les neurones. Que ce soit une bonne stratégie pour survivre dans la savane ne va pas de soi. Si un chimpanzé ne peut l’emporter dans une discussion avec un Homo sapiens, le singe peut le déchiqueter comme une poupée de chiffon.

Plusieurs affirmations, donc, qui semblent faire sens. Mais qu’en est-il vraiment ?

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Yuval Noah Harari, Sapiens. Lecture critique (2) : Un animal insignifiant ?

Cet article est le second de ma série sur Sapiens, de Yuval Noah Harari. Vous pouvez retrouver le 1er article ici.

Un animal insignifiant

La seconde affirmation essentielle d’Harari concernant le paléolithique est donc que les humains sont restés, très longtemps, au moins jusqu’à la supposée révolution cognitive il y a un peu moins de 70 000 ans, des animaux insignifiants.

Il y a eu des êtres humains bien avant qu’il y ait histoire. Des animaux très proches des hommes modernes apparurent il y a environ 2,5 millions d’années. Pendant d’innombrables générations, cependant, ils ne se distinguèrent pas de la myriade d’organismes dont ils partageaient les habitats.
[…] Ce qu’il faut avant tout savoir des hommes préhistoriques, c’est qu’ils étaient des animaux insignifiants, sans plus d’impact sur leur milieu que des gorilles, des lucioles ou des méduses.

Yuval Noah Harari, Sapiens, Albin Michel, 2013, page 13.

On retrouve là l’image d’Epinal d’hommes préhistoriques faibles, survivant à peine dans une nature hostile, proie de tous les prédateurs et peinant à trouver de quoi se nourrir. Le mythe de l’homme nu déjà présent chez Platon, donc. Continuer à lire … « Yuval Noah Harari, Sapiens. Lecture critique (2) : Un animal insignifiant ? »

Yuval Noah Harari, Sapiens. Lecture critique (1) : Une révolution culturelle ?

Je voulais faire un unique article principalement sur le premier chapitre de Sapiens (chapitre sur le paléolithique, avec une partie du 2ème), mais je m’aperçois à chaque relecture qu’il y a beaucoup plus à dire que je ne le pensais, et que le tout serait vraiment très long. Je scinde donc en plusieurs billets pour rendre la lecture plus facile.
2ème partie : Un animal insignifiant ?

Sapiens est l’un des plus formidables succès de librairie de ce début de siècle : une dizaine de millions d’exemplaires vendus à travers le monde, dont un millions en France. Mais plus que ça, le succès du livre a permis à Harari d’obtenir l’oreille des grands dirigeants mondiaux,  des innovateurs de la Silicon Valley et l’admiration des intellectuels et des médias. Le Point le décrit même comme « Le penseur le plus important du monde« . Pourtant, Sapiens semble pécher par quelques faiblesses et manquer passablement de rigueur. Je ne vais me permettre de parler que de ce que je connais le mieux, à savoir la partie paléolithique du livre, décrite principalement dans le premier chapitre, mais d’autres ont souligné les faiblesses de l’ensemble (par exemple ici, en français, et ici, en anglais).

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Anthropocène et complexité (1) : enlarge your forest ?

L’écologie est une science difficile. La complexité des écosystèmes et des relations entre les humains et le reste du vivant est déjà à elle seule suffisante pour occuper une armée d’écologues. Les choses se compliquent encore en temps d’anthropocène (les dynamiques s’accélèrent) et de crainte d’effondrement : à la complexité de la situation vient s’ajouter le problème des discours exagérément optimistes, ou exagérément pessimistes, des demandes de solutions immédiates. Or, il y a un danger majeur pour qui veut agir sérieusement (c’est-à-dire efficacement) en écologie : c’est celui de poser un mauvais diagnostic sur la situation, et donc de proposer de mauvaises solutions, qui risquent d’aggraver les choses. Et un mauvais diagnostic, ça peut être aussi bien un diagnostic trop alarmiste qu’un diagnostic pas assez alarmiste.

Pour illustrer la complexité des situations écologiques, je partirai d’une information a priori réjouissante :

La forêt progresse en Europe

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