Omnivore, mais encore ?

Je relance un peu le blog avec un format court visant à exposer rapidement quelques problèmes que l’on rencontre quand on essaie de parler correctement d’évolution humaine en général, et d’évolution de l’alimentation humaine en particulier. Il y aura moins de références que d’ordinaire, mais vous pouvez demander des précisions en commentaires, et je commence avec la question de l’omnivorie.

Un omnivore, dans l’acception courante, y compris pour la plupart des chercheurs, est un animal capable de se nourrir à la fois de plantes (auxquelles on associe généralement les champignons) et d’animaux ou de produits animaux. Et d’emblée, un premier problème se pose : un animal se nourrissant de 3% d’animaux et de 97% de plantes (pas très loin de la situation moyenne des chimpanzés, en gros), peut être considéré comme omnivore, de même qu’un animal qui aurait dans son alimentation le ratio inverse, 97% d’animal et 3% de végétal. Or, à l’évidence, ce ne sont pas du tout les mêmes régimes alimentaires. Le problème est parfois résolu en parlant pour l’un d’omnivore à tendance végétarienne, pour l’autre d’omnivore à tendance carnivore, ou d’omnivore-carnivore, selon les auteurs.

D’autres définitions, venant de l’écologie, sont plus intéressantes, quoiqu’elles ne règlent pas tous les problèmes. On y parle de carnivorie pour des valeurs assez basses de consommation animale. Une classification courante parle d’hypocarnivores, pour les animaux ayant dans leur alimentation moins de 30% de vertébrés (ou de grands vertébrés selon les auteurs), de mésocarnivore pour les animaux ayant entre 30% et 70% de vertébrés dans leur alimentation (parfois entre 50% et 70%, par exemple [ici], et d’hypercarnivores pour les animaux consommant des vertébrés pour plus de 70% de leur alimentation.

Evidemment, la classification d’hypocarnivore pose encore une difficulté : un animal consommant 2 ou 3% de vertébrés n’a pas du tout la même alimentation qu’un animal en consommant 20 ou 30% : la consommation de vertébrés est différente d’un facteur 10. C’est considérable et cela pose encore un problème de définition.

Une manière de régler le problème est sans doute de parler de niveau trophique. Certains d’entre vous se souviennent peut-être de [cette étude] qui classait les humains (actuels) au même niveau trophique que les anchois, elle avait été pas mal médiatisée. Il en existe d’autres, comme [cette étude] de Ben-Dor, Sirtoli et Barkai, qui essaient d’évaluer l’évolution du niveau trophique humain durant le paléolithique. Ben-Dor et Barkai utilisent par ailleurs la classification précédente, et concluent que les humains étaient probablement passés par une phase hypercarnivore (plus de 70% de vertébrés dans leur alimentation), avant de voir leur niveau trophique baisser à partir du paléolithique moyen. Cette classification en hypercarnivores, bien que clairement définie par les auteurs, avait été parfois mal comprise, d’ailleurs.

Une manière de régler les problèmes de définition peut être, tout simplement, de donner le pourcentage de chaque type de nourriture dans l’alimentation d’un animal, sans se risquer à y accoler une étiquette. Les chimpanzés consomment entre 2 et 5% de vertébrés, chacun décidera ensuite dans quelle case il veut les situer.

Un autre problème (au moins), se pose encore : une définition assez courante définit un omnivore comme un animal pouvant se nourrir indifféremment de plantes ou d’animaux. Cette définition pose problème, parce que très souvent, les omnivores ne peuvent pas se nourrir uniquement de plantes, ou uniquement d’animaux. On fait alors la différence entre omnivore obligatoire et omnivore facultatif, les omnivores obligatoires devant consommer une valeur minimale d’aliments provenant de chacun des deux règnes. Homo sapiens, hors supplémentation, est un omnivore obligatoire : sans aucun produit animal dans l’alimentation, il a un problème vital au moins pour un nutriment, la vitamine B12, et à l’inverse, il est peu probable qu’une alimentation 100% animale ait été consommée à long terme par aucune population humaine.

Un dernier problème est lié à la notion de prédation. Un animal pourrait être un hypercarnivore selon la définition écologique, sans être le moins du monde prédateur (s’il parvenait par exemple à tirer plus de 70% de son alimentation de vertébrés charognés). Mais c’est encore une autre histoire…

(Merci à Dina Hanot pour sa relecture attentive)


Ben Dor Trophic level

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